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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 11:13

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  (Le radeau de la Méduse de T.GERICAULT 1791-1824 )

 

Assurément,  nous ne sommes pas les auteurs de la nature bien que nous tâchions depuis DESCARTES de nous en rendre « comme maîtres » . Ne serions –nous pas, face à l’histoire,  dans une situation totalement différente ? Ne sommes-nous pas  des êtres historiques beaucoup plus encore que des êtres naturels et ce domaine ne serait-il pas celui, vraiment effectif  et non analogique,  de notre maîtrise ? Seuls les hommes ont une histoire disons-nous,   car seuls nous avons conscience du temps, seuls  nous nous représentons le passé et sommes capables de nous pro-jeter dans l’avenir .Mais  si nous sommes les seuls à avoir une histoire pouvons-nous dire que nous la faisons ?

Il s’agit de savoir si la multitude des hommes qui se sont succédé et ceux qui ne sont pas encore nés « font » et "feront" l’histoire , c’est-à-dire s’ils sont ( ou seront ) les auteurs et les acteurs de la réalité humaine en devenir ? A priori , si les hommes ont une histoire , s’il arrive des évènements contingents dans le temps , c’est parce que les hommes sont capables d’agir, qu’ils sont capables de modifier l’avenir . D’un autre côté, "l’homme n’est pas un empire dans un empire », la conscience que nous avons de notre liberté ne serait-elle pas une illusion qu’un regard rétrospectif  dissiperait ? Ce que nous croyons être le produit d’une décision raisonnable n’apparaît-il pas, après coup,  être subordonné à des lois sociales ou économiques, voire psychologiques,  impérieuses ? Bref, ne serions-nous pas le jouet d’un déterminisme ou même d’un destin sur lequel nous n’avons pas de prise ?

Le problème concerne le rôle des hommes dans l’histoire : sont-ils les acteurs ou les agents inconscients d’un destin qui les dépasse ?

L’enjeu est immense : si on considère que les hommes font l’histoire , alors ils sont maîtres de leur destin mais risquent toujours de vouloir régenter le futur avant qu’il ne soit né . Si on considère que les hommes sont passifs , alors ils peuvent vaquer à leurs occupations personnelles mais risquent de  désespérer de l’action et notamment de l’action politique qui  cherche à penser un avenir collectif . Il s’agirait de savoir si nous pouvons agir en vue d’un avenir meilleur en assumant la contingence de notre  condition et de nos actions .

 

 

1 La thèse volontariste : 5057716833_a0d9092093.jpg

La liberté guidant le Peuple .E.DELACROIX 1798-1863  

 

                         1.1 On distingue deux sens au mot histoire. Le premier signifie enquête et même science du passé  tandis que le second désigne le passé tel qu’il s’est passé mais aussi de façon plus générale la réalité humaine en devenir non seulement passée mais aussi présente et future . On peut l’appeler l’histoire -réalité face à l’histoire -savoir ou l'histoire -connaissance . Cette confusion est bien révélatrice dit R.ARON du fait que nous ne connaissons la réalité du  passé que par la représentation qui nous en est faite et que les premiers à  en avoir conscience  sont bien les historiens eux-mêmes , qui ont pris conscience aussi de la dimension originale et spécifiquement humaine de l'action .

 

 HERODOTE, le premier des historiens est bien convaincu que ce sont les hommes qui font l’histoire . C’est même parce qu’ils font quelque chose qu’il y a histoire , c’est-à-dire que quelque chose de nouveau arrive dans un ordre immuable . « Il nous dit que le but de son entreprise est de sauvegarder ce qui doit son existence aux hommes, en lui évitant de s’effacer avec le temps, et de célébrer les actions glorieuses et prodigieuses des Grecs et des Barbares d’une manière qui suffise à assurer leur souvenir pour la postérité et, de la sorte , à faire briller leur gloire à travers les siècles . » H.ARENDT    .  L’invention de l’histoire comme science est liée à la prise de conscience de l’histoire comme réalité en devenir propre aux hommes .

L’historien grec nous révèle   à la fois la puissance des hommes capables d’actions dans le monde mais aussi la fragilité de ces dernières si aucune mémoire ne vient les immortaliser . Rien n’est plus fugace que les actions des hommes au regard que nous offre le spectacle de l’ordre immuable de la nature . Mais rien n’est plus prodigieux que ces actions des  Grecs et des Barbares, qui ,  grâce à l’historien , demeurent comme les astres célestes ,  à jamais dans la mémoire des hommes.

 

                        1.2 Autrement dit , si les hommes ont une histoire c’est parce qu’ils la font  . Etant des êtres conscients, ils ont contrairement aux animaux un pouvoir  de "faire" , c'est-à-dire un pouvoir d’action qui présuppose la liberté . Agir en effet , ce n’est pas ré-agir seulement par instinct ou par réflexe mais au contraire être capable de tout inventer . C’est parce que les hommes ne possèdent pas de savoir- faire inné qu’ils sont capable de dépasser tout donné . Non seulement les hommes sont capables de dépasser tout donné mais ils aspirent à le faire car la réalité est insatisfaisante .Or cette insatisfaction peut prendre la forme d’un souhait pieux mais peut aussi prendre la forme de l’action volontaire concrète . Une action volontaire est donc une action orientée vers une fin qu’on se représente .  Elle implique le refus de ce qui  est donné et son dépassement dans une réalité qui apparaît souhaitable .

Traditionnellement on distingue  quatre moments  dans l’action :

 la conception, ou l’idée de l’acte

  la délibération, peser le pour et le contre , examen des moyens ( deliberare dérive de libra qui désigne l’unité de poids, la livre,),  « Boulè » signifie volonté en même temps qu’assemblée délibérante en grec .

  la décision , c’est le moment où l’on tranche , la décision suppose un engagement définitif subjectivement  mais subjectivement seulement, encore faut-il passer à l’acte, sinon un changement reste toujours possible .

  l’exécution .   c’est le moment de l’engagement définitif d’un point de vue objectif qui empêche un changement . Une fois que j’ai signé tel ou tel contrat , je ne pourrai plus me dégager facilement . ( on le voit certains prennent des décisions en grands nombres mais hésitent à passer à l’exécution …)

 

                        1.3  La conscience même de notre historicité et de notre liberté ne débouchent-t-elles pas sur la légitimité d’une action qui bouleverse radicalement l’ordre donné ?  La révolution n’est-elle pas ce qui constitue l’action même non plus à l’échelle individuelle mais à l’échelle des peuples ?

 L’idée de révolution historique   se  pense analogiquement sur l’idée de  la révolution astrale , dans l’un et l’autre cas commence une nouvelle ère ,  un nouvel ordre  que sanctionnera d’ailleurs un nouveau calendrier . On assistera à la vraie histoire de l’humanité qui sera aussi celle de la fin de la première histoire .

Ainsi ,  ce sont bien les hommes qui font l’histoire , ceux qui l’écrivent ,au sens strict, et  ceux qui la font , car  les historiens rapportent ce qu’ont fait les hommes comme auteurs et acteurs conscients de leur existence  , les actes héroïques de ceux qui refusent la fatalité .

 

  La thèse volontariste est  conforme à l’idée que nous nous faisons des hommes  , êtres conscients et agissants ,  mais n’est –elle pas un peu naïve et surtout très dangereuse ?

Certes , il nous faut ici distinguer soigneusement entre l’historien qui raconte le passé des Grecs et des Barbares  et le philosophe qui médite sur le pouvoir de l’homme de modifier l’a-venir au nom de ce qui devrait advenir. C’est non dans l’analyse historique mais dans la prospective inhérente à  l’action politique guidée par la réflexion que se trouve le danger que l’on vient de  signaler .

Prétendre qu’une volonté ou quelques volontés si puissantes soient-elles suffisent à modifier l’avenir c’est ignorer tout ce qui nous conditionne et tout ce qui peut faire échec à la volonté , tout simplement, d’ailleurs,  parce que nous n’en avons pas conscience .

Mais c’est surtout  dangereux car porteur de violence . La Terreur est inhérente à la pensée révolutionnaire car dans sa volonté d’accélérer l’avènement d’un monde nouveau, elle est tentée d’abolir le plus vite ce qui est au nom de ce qui devrait être . Prétendre juger le présent en fonction d'un savoir du futur  c’est forcément permettre à  la guillotine, aux  goulags,  mais aussi bien aux  nouvelles( !)  guerres saintes ,aux  luttes du bien contre l’axe du mal  de fonctionner à plein régime  .

Dans tous les cas,  un tribunal révolutionnaire c’est un tribunal qui prétend détenir la science d’un futur qui ne s’est pas encore accompli . La violence, « cette  grande accoucheuse de l’histoire » (MARX) est alors bien aidée  par les tricoteuses !

Ne serait-il pas plus juste d’admettre et par lucidité et par conscience du danger que nous ne sommes pas maîtres de notre destin ? Pour échapper à une conception volontariste porteuse d’illusions et de violence , n’est-il pas plus rationnel de  considérer que les hommes ne font pas l’histoire mais que ce serait plutôt elle qui les « ferait » , que loin d’être les acteurs  de révolutions , nous serions le produit d'une ( lente)  évolution ?

 

 

2  La conception déterministe :

 

                        2.1 La thèse volontariste mise à mal par tous les moralistes et les psychologues n’est-elle pas à plus forte raison caduque en ce qui concerne l’action des hommes à l’échelle collective ? Entre ceux qui décident et ceux qui exécutent , il y a tant  de médiations , tant  d’aléas !

 

                        a) pour l’historien :  la critique de l’histoire militaro –politique :

 L’action des hommes même des grands est toujours prise dans un réseau serré de facteurs multiples . De surcroît, il n’est pas sûr que ce soit l’action des hommes qui meuve l’histoire mais tout aussi bien le contexte géographique ou économique face auquel, l’action en général et l’action politique en particulier apparaissent comme l’écume superficielle peu susceptible d’éclairer la véritable causalité historique .

L’essor de la Grèce n’est-elle pas d’abord liée à sa situation géographique qui favorise le commerce et les échanges aussi bien économiques qu’intellectuels ? 

C’est F.BRAUDEL qui nous le dit au terme de ce  qu’il a appelé une révolution copernicienne

 « La Méditerranée et le monde méditérranéen à l’époque de Philippe II » fut, en 1947,  le titre de sa thèse qui en lui même révolutionna du fait de l’inversion des sujets la conception que l’on avait de l’histoire .il inventa en outre une nouvelle approche de la temporalité historique . l’histoire presque immobile, (le temps géographique) l’histoire lentement agitée (le temps social) et l’histoire évènementielle : le temps individuel et l’agitation de surface .

 

                        b )pour  le philosophe : L’action est chose fugace et périssable ,et sans le souvenir dont parlait HERODOTE,  elle ne dure pas plus longtemps que l’activité elle-même, elle ne peut pas prétendre à cette permanence que possèdent de simples objets  .

 

«  L’action humaine , projetée dans un tissu de relations où se trouvent poursuivies des fins multiples et opposées, n’accomplit presque jamais son intention originelle ; aucun acte ne peut jamais être reconnu par son auteur comme le sien avec la même certitude heureuse qu’une oeuvre de n’importe quelle espèce par son auteur .Quiconque commence à agir doit savoir qu’il a déclenché quelque chose dont il ne peut jamais prédire la fin, ne serait-ce que parce que son action a déjà changé quelque chose et l’a rendue encore plus imprévisible . C’est cela que KANT  avait en tête quand il parlait de « contingence désolante » qui est si frappante dans le cours de l’histoire politique .. L’ action : on ne connaît pas son origine, on ne connaît pas ses conséquences :_par conséquent, est-ce que l’action possède aucune valeur ? » Les vieux philosophes n’avaient-ils pas raison , et n’était-ce pas folie d’espérer voir surgir aucun sens du domaine des affaires humaines ? » H.ARENDT (le concept d’histoire ).

                          

 

            2.2 La ruse de la raison : 

 

Dès lors, si, malgré tout, nous ne voulons pas renoncer à l’intelligibilité du réel et à ce réel qui nous importe particulièrement puisque nous y sommes plongés ,  nous devons  postuler une rationalité cachée . Il y aura une ruse de la nature ou  de la raison mais on devra dire des hommes  qu'ils  sont plus agis qu'ils n'agissent .

 

« La nature nous montre une multitude infinie de figures et de phénomènes singuliers ; nous éprouvons le besoin d'apporter de l'unité dans cette multiplicité variée ; c'est pourquoi nous faisons des comparaisons et cherchons à connaître l'universel qui est en chaque chose. [...] En font [...] partie les lois, ainsi par exemple les lois du mouvement des corps célestes. Nous voyons les astres aujourd'hui ici, et demain là-bas ; ce désordre est pour l'esprit quelque chose qui ne lui convient pas, à quoi il ne s'en remet pas, car il a foi en un ordre, en une détermination simple, constante et universelle. C'est en ayant cette foi qu'il a dirigé sa réflexion sur les phénomènes et qu'il a connu leurs lois, fixé d'une manière universelle le mouvement des corps célestes de telle sorte qu'à partir de cette loi tout changement de lieu se laisse déterminer et connaître. Il en va de même avec les puissances qui régissent l'agir humain dans sa variété infinie. Ici aussi l'homme a foi en un universel exerçant sa domination. De tous ces exemples on peut conclure comme la réflexion est toujours à la recherche de ce qui est fixe, permanent, [...] et de ce qui régit le particulier. Cet universel ne peut être saisi avec les sens et il vaut comme ce qui est essentiel et vrai. » HEGEL

 

 

 

 

RQ on distingue en effet plusieurs types de rationalités : ( tableau d'après manuel ed°FOUCHER , A.BIHR)

1- La rationalité logique :

 

 

 

 

 

 

PRINCIPES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 ORIGINE

Elle se définit par l’ensemble des principes formel , c’est-à-dire indépendants de la nature même de l’objet de la connaissance , que doit respecter tout connaissance et toute pensée en général .

Le principe d’identité : A est A           Dans un discours ou dans une discussion , le sens d’un terme , son concept doit rester identique à lui-même , sinon on ne sait plus de quoi on parle . Cette exigence est requise pour que la pensée reste cohérente et ne sombre pas dans une suite de confusions et de contradictions inaperçues.

Le principe de non –contradiction : A n’est pas non-A

Un terme ne peut pas simultanément être quelque chose et son contraire . le principe de non-contradiction ne fait en un sens que reprendre le principe d’identité sous une forme négative : il réaffirme l’exigence fondamentale de cohérence de la pensée avec elle –même .

 

Le principe de tiers-exclu : entre A et non- A , il n’y a pas de troisième terme possible .

Dans ce cas , on n’a le choix qu’entre deux termes formellement contradictoires et qui s’excluent l’un l’autre . Nous verrons cependant que la connaissance exige que ce principe ,comme d’ailleurs les deux précédents , soit en un sens dépassé .

Ces trois principes ont été énoncés par ARISTOTE ( 388-322 av JC) et constituent la base de la logique formelle .

 

 

2 la rationalité analytique :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRINCIPES

 

 

 

Les principes précédents permettent de développer des sciences formelles comme la logique et les mathématiques. Mais ils ne nous disent pas comment développer une connaissance effective : comment prendre connaissance d’une réalité ?

Connaître une réalité , c’est d’abord l’analyser , la diviser , la décomposer , la pénétrer en en brisant l’unité et la simplicité apparentes pour en dégager les différents aspects ou éléments . par cette opération , la raison parvient à déterminer :

-des IDENTITES : à percevoir l’unité au sein de la multiplicité .

- des REGULARITES : des lois et des principes d’ordre au sein du désordre apparent des ;phénomènes ;

- des STABILITES : des invariances et des permanences sous le couvert du continuel changement de la réalité .

Cette analyse aboutit à réduire la réalité à une série d’abstractions : des concepts , des types , des classifications, des schémas, des tableaux , des données numériques , des graphes …

 

 

 

 

ORIGINE

C’est DESCARTES (1596-1650- qui a souligné l’importance de l’opération analytique dans toute démarche de connaissance en en faisant le principe de sa méthode . Ainsi recommande-t-il dans son Discours de la Méthode de « décomposer en autant de parcelles qu’il est nécessaire pour les mieux résoudre »en supposant que toute réalité peut se réduire à la composition de quelques éléments ou principes simples » .

 

 

Mais si ces principes suffisent à expliquer les phénomènes naturels, suffisent-ils à expliquer les phénomènes humains en tant qu’humains , c’est-à-dire signifiants ? Mais nous devons aussi  renoncer à la rationalité de l’action individuelle et minimiser considérablement la conscience que nous avons d'" agir" . Nous devons adopter d’autres principes  que ceux de la rationalité logique ou analytique sans nous appuyer sur le témoignage des agents .

 

 « Dans l'histoire universelle nous avons affaire à l'Idée telle qu'elle se manifeste dans l'élément de la volonté et de la liberté humaines. Ici la volonté est la base abstraite de la liberté, mais le produit qui en résulte forme l'existence éthique du peuple. Le premier principe de l'Idée est l'Idée elle-même, dans son abstraction ; l'autre principe est constitué par les passions humaines. Les deux ensemble forment la trame et le fil de l'histoire universelle. L'Idée en tant que telle est la réalité ; les passions sont le bras avec lequel elle gouverne.

     Ici ou là, les hommes défendent leurs buts particuliers contre le droit général; ils agissent librement. Mais ce qui constitue le fondement général, l'élément substantiel, le droit n'en est pas troublé. Il en va de même pour l'ordre du monde. Ses éléments sont d'une part les passions, de l'autre la Raison. Les passions constituent l'élément actif. Elles ne sont pas toujours opposées à l'ordre éthique ; bien au contraire, elles réalisent l'Universel. En ce qui concerne la morale des passions, il est évident qu'elles n'aspirent qu'à leur propre intérêt. De ce côté ci, elles apparaissent comme égoïstes et mauvaises. Or ce qui est actif est toujours individuel : dans l'action je suis moi-même, c'est mon propre but que je cherche à accomplir. Mais ce but peut être bon, et même universel. L'intérêt peut être tout à fait particulier mais il ne s'ensuit pas qu'il soit opposé à l'Universel. L'Universel doit se réaliser par le particulier.

     Nous disons donc que rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont collaboré. Cet intérêt, nous l'appelons passion lorsque refoulant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins. En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion. »            HEGEL, la raison dans l’Histoire .

 

 

 

 

3 la rationalité dialectique :

 

PRINCIPES

Pour nécessaire qu’elle soit , l’opération analytique reste insuffisante : par elle, la raison écarte certains aspects de la réalité à connaître qu’il lui faut restituer ultérieurement . C’est là la propre de la rationalité dialectique.

Aussi cette dernière considère –t-elle toute réalité :

- Dans sa TOTALITE : en restituant les   rapports complexes entre les différents éléments qui la composent , que la rationalité analytique tend au contraire à séparer et à considérer distinctement ;

-dans ses CONTRADICTIONS : en montrant que toute réalité contient en elle-même le principe de sa propre négation (dissolution, destruction) sous la forme de contradictions ( de conflits de luttes) entre ses éléments constitutifs, qui en font toujours une réalité en devenir (en incessante transformation).

_ dans ses POSSIBILITES : en mettant à jour en chaque réalité les germes d’une réalité différente, soit les tendances à l’auto-dépassement qui lui sont inhérentes .

La rationalité dialectique cherche à saisir la réalité dans le mouvement qui la produit et qui la détruit en tant qu’unité complexe d’une multiplicité d’éléments .

ORIGINE

Il revient à HEGEL ( 1770-1831) d’avoir mis en évidence la nécessité de dépasser la rationalité analytique (qu’il nommait entendement) en une rationalité supérieure d’ordre dialectique ( qu’il tenait pour la véritable forme de la raison ) . MARX , sur des base matérialistes reprendra ce terme .

 

 

En fin de compte , si le réel est rationnel c’est dans sa globalité non dans son détail . « le vrai , c’est le tout . »

Certes , il ne s’agit pas de penser qu’une Providence serait à l’œuvre  dans l’histoire des hommes non pour penser que celle-ci a un sens mais pour n’être que le véhicule de l’histoire sainte nous portant de la Chute au Jugement Dernier . Le sens de l’histoire ne serait pas extérieur à l’histoire elle-même mais il échapperait en tout cas à la conscience que les hommes peuvent en prendre .Le but de l’Histoire serait l’avènement de la Raison et de la Liberté mais paradoxalement  à l’insu des principaux intéressés .

 

  C’est seulement  rétrospectivement que  le philosophe peut dégager une rationalité à l’histoire , et c’est  en renonçant à admettre une rationalité  intrinsèque à l’action  en train de se faire que nous pouvons retrouver un ordre dans ce désordre apparent . Mais ne sommes –nous pas tombés dans un autre excès ? D’un côté en effet , nous avons vu que la thèse volontariste pèche par excès de confiance dans la liberté et la rationalité directe  de l’action des hommes  prétendant diriger le futur au nom d’un idéal hypothétique . De l’autre côté , c’est non pas l’action et l’avenir qui nous donne  foi dans la rationalité mais la contemplation du passé et la négation de l’action réduite à  la passion  qui  éclairent la rationalité du devenir . Ne pourrions –nous pas dépasser cette contradiction et admettre que la contemplation du passé soit désormais suffisante pour nous permettre une action réelle sur l’avenir ? La science authentique n'a-t-elle pas une efficacité sur la nature , pourquoi en serait-il autrement dans un domaine qui est notre propre oeuvre ? Ne convient-il pas d'affirmer désormais qu'il serait temps d'en finir avec l'opposition de l'action et de la contemplation ? Ne sommes-nous pas en mesure de soumettre l'histoire grâce à l'obéissance que nous avons à ses lois et dire avec MARX que :  «  les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde , il convient désormais de la changer »  (XI ème  thèse sur FEUERBACH .)

 

 

 3   Une science pratique :   la science ne permet –elle pas de « se rendre comme maîtres et possesseurs de »…l’histoire ?

 

L’opposition de l’action et de la contemplation , de l’action sur le futur et de la contemplation du passé n’est-elle pas arbitraire ? Le savoir authentiquement scientifique ne débouche –t-il pas sur la transformation de la nature ? BACON préconisait qu’on se soumît à la nature pour lui commander ,  pourquoi le savoir historique ferait-il exception à la règle ? Si nous sommes en mesure de connaître parfaitement les lois qui régissent les rapports entre les hommes , alors nous pourrons prévoir l’avenir et même le préparer . Telle est bien la position de MARX qui apparaît comme une synthèse où la connaissance de l'évolution permet de penser l'avènement de la  révolution .

 

            Les lois : « les hommes font l’histoire même s’ils ne savent pas l’histoire qu’ils font » : Nulle transcendance , nulle Providence ou nature providentielle ne vient telle une main invisible guider l’histoire , ce sont simplement les forces sociales. Pour comprendre l’histoire, il faut partir non de ce que les hommes pensent mais de ce qu’ils font !

 

« Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.      MARX, Avant-propos à la Critique de l'Economie politique,

in Oeuvres, t. 1, Pléiade, pp. 272-273

 

            La prévision : l’avènement d’une révolution prolétarienne puis  d’une société sans classe et sans Etat .

 

Le socialisme scientifique , par opposition au socialisme utopique  n’apparaît-il pas comme la solution la plus achevée capable  de dépasser et  les erreurs naïves d’un activisme volontariste grâce à la connaissance rigoureuses des lois économiques  et  l’attitude purement interprétative   du passé .

 Une telle thèse nous est devenue très  suspecte  et nous ne voyons que trop bien les lendemains qui déchantent car le futur humain ne peut faire l’objet d’une science .En effet,  soit nous sommes dans la science et alors nous ne pouvons dire que ce qui est , soit nous assumons le socialisme et alors nous reconnaissons que c’est ce qui devrait-être mais nous quittons le terrain de la science pour aller vers celui de l’idéal , parfaitement légitime en  tant que tel mais en tant que tel seulement  .  Dans la perspective  d’un volontarisme éclairé par le savoir , il y a une confusion entre ce qui relève de la connaissance et ce qui relève de l’action , entre ce qui est de l’ordre de l’être et ce qui est de l’ordre du devoir être ou de la valeur . On ne peut pas reprocher aux hommes d’agir et de faire venir ce qu’ils estiment être juste,   mais on peut leur reprocher de penser que ce qui relève des valeurs a la même objectivité que ce qui relève des faits et fait l’objet de science naturelle ou historique .

 En fait , on confond ici deux choses :  l’action politique irrémédiablement frappée de « la désolante contingence » avec la notion de fabrication . Dire que les hommes pourraient avoir une action politique aussi rationnelle et aussi scientifique que celle qui nous fait étudier les faits de la nature ou du passé , c’est le résultat de cette confusion .

 

 

    "La fabrication se distingue de l’action en ce qu’elle a un commencement défini et une fin qui peut être fixée d’avance : elle prend fin quand est achevé son produit qui non seulement dure plus longtemps que l’activité de fabrication mais a dès lors une sorte de « vie » propre. L’action, au contraire, comme les Grecs furent les premiers à s’en apercevoir, est en elle-même complètement fugace ; elle ne laisse jamais un produit final derrière elle. Si jamais elle a des conséquences, celles-ci consistent en général en une nouvelle chaîne infinie d’événements dont l’acteur est tout à fait incapable de connaître ou de commander d’avance l’issue finale. Le plus qu’il puisse faire est d’imposer aux choses une certaine direction, et même de cela il ne peut jamais être sûr. Aucune de ces caractéristiques n'est présente, dans la fabrication. Comparée à la fugacité et à la fragilité de l'action humaine, le monde édifié par la fabrication est d'une permanence durable et d'une immense solidité. C'est seulement dans la mesure où le produit final de la fabrication est incorporé dans le monde humain, où son usage et son « histoire » définitifs ne peuvent jamais être entièrement prédits que la fabrication déclenche aussi un processus dont l'issue ne peut être entièrement prévue et échappe par conséquent à la volonté de son auteur. Cela veut dire seulement que l'homme n'est jamais exclusivement homo faber, que même la fabricateur demeure en même temps un être agissant, qui déclenche des processus où qu'il aille et quoi qu'il fasse."

Hannah Arendt, "Le concept d'histoire", in La Crise de la culture,

Éd. Gallimard, trad. P. Lévy, Folio, 2007, pp. 81-82.

 

Plus loin,

« Ce qui distingue la théorie de MARX de toutes les autres où l’idée de « faire l’histoire »  a trouvé sa place est seulement que lui seul a compris que si l’on considère l’histoire comme l’objet d’un processus de fabrication , il doit arriver un moment où cet objet « est » achevé , et que si l’on s’imagine qu’on peut « faire l’histoire », on ne peut échapper à cette conséquence qu’il y aura une fin à l’histoire. Chaque fois que nous entendons parler de buts grandioses de la politique, comme d’établir une nouvelle société où la justice sera à jamais garantie, ou de faire une guerre qui mettra fin à toutes les guerres, ou d’assurer la démocratie au monde entier, nous nous mouvons à l’intérieur de ce mode de pensée » 

 

 

 

 

 

Conclusion

 

Peut-on dire que ce sont les hommes qui font l’histoire ? Oui ,  même s’ils ne savent pas toujours l’histoire qu’ils font . Les philosophies de l’histoire ont raison mais il ne faut pas en conclure qu’elle leur échappe ou au contraire qu’un immense savoir pourrait nous éclairer sur ce que nous devons faire . Désormais , nous ne pouvons plus ignorer ce qu’ « un faire l’histoire »  peut vouloir dire . Nous ne pouvons plus , tel le Christ sur le Golgotha nous pardonner à nous-mêmes en disant que nous ne savons pas ce que nous faisions !  Maintenant nous savons !  Si les hommes font l’histoire , on veut dire par là qu’ils agissent sans parfaitement maîtriser toutes les conséquences de leurs actes , et ils ne sont pas en mesure de la fabriquer , l’avenir est par là imprévisible et ouvert . Mais  nous ne sommes pas dispensés de la question posée par le philosophe : Que devons-nous faire ? Et nous pourrions rajouter sans que notre faire ne tourne au cauchemar et sans   que , pour la même raison nous renonçions à faire quoi que ce soit ,  ce qui pourrait d’ailleurs être plus néfaste encore  ! Nous qui sommes capables de tant de choses   sur la nature , serions-nous totalement désabusés et impuissants concernant notre propre avenir dont le moins que l’on puisse dire  est qu’il est lié aux actions que nous avons entreprises sur elle .

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commentaires

C
Voir Blog(fermaton.over-blog.com)No.21- THÉORÈME des POUVOIRS. - Le pouvoir une folie ?
Répondre
C
Blog(fermaton.over-blog.com),No-15. - THÉORÈME HUSSERL. - Une philosophie comme science rigoureuse.
Répondre

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